Intervention au débat GIEP-AFTP-CFE-AEE  du 19 décembre 2012 par Jacques Roger-Machart

Les transports engloutissent 68% de la consommation finale de produits pétroliers en France. Ils dépendent à 97% des hydrocarbures. Ils alimentent directement une facture énergétique désormais supérieure à 60 Md €. Ils représentent 34% des gaz à effet de serre. Réduire la consommation d’hydrocarbures, c’est répondre à la fois à l’objectif de limiter les émissions de CO² et à celui de réduire la facture énergétique.

Une stratégie cohérente pour des mobilités économes en pétrole importé pourrait tenir en 4 principes.

1er principe : réduire la consommation d’énergie dans les mobilités contraintes domicile-travail. L’accession à la propriété s’est beaucoup trop faite en lointaine périphérie urbaine. Les déplacements domicile–travail, souvent en voiture individuelle, sont longs et très coûteux en énergie. L’exemple d’un département comme l’Yonne est craint à cet égard : 12 .000 personnes font chaque jour la navette entre Auxerre ou Sens et la région parisienne ; 80% d’entre eux le font 5 jours par semaine ; 70% en voiture ; 45% passent plus de 4h par jour en transport ; et … 84% d’entre eux souhaiterait trouver du travail sur place.

Les politiques d’urbanisme gagneraient à développer une meilleure mixité des activités (habitat, travail, commerces, services) et à localiser l’habitat à proximité de gares de transports publics. Outre les agglomérations, c’est à l’échelle des « pôles métropolitains », institués en « Autorité Organisatrices  de Transports », que doivent se concevoir les différentes formes de mobilité, électriques notamment. A plus court terme, le co-voiturage ou l’autopartage doivent être encouragés. Il serait souhaitable de rendre obligatoire les Plans de Déplacement des Entreprises pour les employeurs de plus de 200 salariés et les PDIE (plans de déplacement inter-entreprises) dans les zones d’activité. On peut aussi miser sur le développement du télétravail qui, avec la dématérialisation de l’économie (Cf ; les thèses du gourou Jeremy Rifkin sur la 3ème révolution industrielle), peut permettre de limiter les contraintes de déplacement sans changer d’employeur. Ainsi des centres de télétravail se mettent en place à l’instigation de grandes entreprises pour limiter les mouvements entre l’est et l’ouest de la région Ile de France ; on prévoit pour fin 2013 75 télécentres de 100 places chacun ; selon une étude de la CDC, dans 10 ans, 140 à 160.000 actifs seront des télétravailleurs.

Les prospectivistes parlent de signaux faibles qui peuvent devenir facteurs de changements structurels. Le télétravail en est peut-être un.

2ème principe : repenser l’efficacité énergétique des transports de marchandises. 87 % des flux utilisent toujours la route et consomment 9 MTep. La pensée unique en faveur du transfert modal vers le fer ou le fleuve n’a aucune chance de se concrétiser. Car les transporteurs ont horreur des ruptures de charge et préfèrent le point à point. Le wagon isolé est sans doute condamné ; le train complet est souvent à traction diesel ; seules les autoroutes ferroviaires sur longue distance (plus de 800 Km) sur lignes électrifiées peuvent être pertinentes si l’on peut aider les transporteurs routiers, souvent des PME, à s’organiser aux deux extrémités pour amener, puis reprendre, les semi-remorques chargées sur le train.

C’est donc à l’efficacité énergétique du transport routier qu’il faut penser en priorité.

S’agissant du « dernier Km » (plutôt 30 voire 40 Km), qui se fait par la route, plutôt que de rejeter en lointaine périphérie urbaine les plates-formes logistiques, il serait pertinent d’aménager des plateformes intermodales branchées sur autoroute ou périphérique, à proximité des centres villes et des zones de livraison finale ; elles peuvent être aménagées en immeubles pour économiser du foncier, par exemple aux portes de Paris. En se rapprochant des zones denses de chalandise, on réduit les circuits de livraison, cela désengorge la circulation des banlieues urbaines et permet l’usage de véhicules adaptés, électriques notamment.

Quant à la longue distance, outre les progrès de rendement des moteurs, nous pensons que ce peut être le champ privilégié d’usage des biocarburants.

3ème principe : favoriser l’efficacité énergétique et la sobriété en produits pétroliers de la circulation automobile. Le parc français (30 millions de véhicules légers) consomme près de 30 MTep. En comptant les poids lourds, l’énergie consommée est à  80% du gazole. Solution radicale, la vitesse étant très consommatrice d’énergie, on pourrait envisager d’abaisser la vitesse maximale à 110 km/h sur autoroute. Plus de 750 millions de litres de carburant seraient économisés, équivalant à 7,5 TWh soit 15 fois la quantité d’énergie photovoltaïque produite en 2010.

Alors que les transports consomment 600 TWh de produits pétroliers les transports électriques ne représentent que 18 TWh ; la marge de progression est considérable.

Aussi convient-il de favoriser la mobilité électrique (trains, tramways, trolleys, voiture, scooters, vélos, …) ; l’usage de véhicules électriques est particulièrement adapté pour les trajets pendulaires domicile-travail. Plutôt que d’inciter à l’achat d’une voiture familiale polyvalente (pour le travail, les vacances…), mieux vaut spécialiser les usages, favoriser la location plutôt que l’achat, le service de mobilité plutôt que la propriété. En louant pour des usages, on peut utiliser un VE pour ses déplacements quotidiens à petites distances, notamment pour le domicile-travail, et une voiture à essence pour les WE ou les grandes vacances. L’avenir du véhicule électrique se construira sans doute mieux avec d’autres, comme Bolloré, aptes à raisonner en termes d’usages, qu’avec les constructeurs automobiles, trop imprégnés d’une culture de la performance et de la voiture objet de propriété pour un usage polyvalent.

 4ème principe : préparer les mutations énergétiques dans la motorisation des véhicules. Il n’existe pas de solution miracle pour remplacer le pétrole dans les véhicules. Nous allons vers des solutions diversifiées, adaptées à différents besoins et segments de marché : les véhicules électriques sur batterie pour des déplacements urbains ou pendulaires ; les solutions hybrides qui optimisent la consommation spécifique pour des usages polyvalents; l’hydrogène et la pile à combustible pour les bus …

L’aide financière publique et la R&D nationale doivent être tournées vers les entreprises travaillant sur les technologies de stockage de l’énergie, les biocarburants de 2ème génération et les solutions hybrides.

S’agissant des VE sur batteries, il convient de ne pas penser véhicule seul, mais véhicule plus points de recharge ; ceux-ci doivent être prévus, plutôt dans les parkings privés, au domicile de préférence ou au travail, que dans l’espace public ; c’est sans doute actuellement le point faible des projets ambitieux de Renault qui n’a pas vraiment travaillé avec EDF l’équipement des parkings privés en points de recharge à des coûts abordables.